En janvier 2019, le cabinet de niche en droit fiscal Arsene a créé sa branche innovation. Une offre de conseil dédiée au financement et à la performance de la R&D ainsi qu’à la transformation digitale des métiers de conseil. La filiale de la structure a été confiée à un ingénieur, Pierre Marchand, qui exerçait dans la maison depuis 2010.
Une démarche entrepreneuriale
Arsene Innovation a pour mission de mettre le digital aux services des avocats, en créant des solutions numériques pour la fiscalité. De manière à ce que certaines tâchent soient automatisées pour que les conseils se concentrent sur les offres à valeur ajoutée. Elle s’inscrit également dans la démarche entrepreneuriale du cabinet, qui permet à celui qui est motivé de développer ses idées. "Chez Arsene, il y a bien sûr des fiches de postes standardisées, que ce soit pour les avocats ou les consultants, mais à l’intérieur, chaque personnalité incarne sa fonction. C’est l’esprit des pères fondateurs", indique Pierre Marchand.
Olivier Vergniolle et Frédéric Donnedieu de Vabres ont monté Arsene en 2004 et sont aussi à l’origine du réseau Taxand. Tous deux, comme nombreux de leurs associés, viennent de chez Arthur Andersen, démantelé en 2002. "On a voulu recréer un cabinet et un réseau international de référence en matière de conseil fiscal, avec l’engagement et l’esprit d’équipe attendu par les clients", rapporte Olivier Vergniolle. Depuis, la petite maison de dix avocats n’a cessé de grandir pour atteindre 150 avocats fiscalistes dont 21 associés. Une ascension favorisée par la loi de 2003 sur la sécurité financière, qui a renforcé l’indépendance entre le conseil et la certification des comptes des entreprises, libérant une clientèle qui opérait jusque-là avec un seul et même prestataire pour ces deux services.
Des parcours complémentaires
Malgré des parcours différents, Olivier Vergniolle, 54 ans, et Pierre Marchand, 48 ans, ont en commun d’être entrés dans la vie étudiante sans idée précise du tournant que prendrait leur carrière. Le premier a cependant toujours été passionné par la vie des entreprises. Il commence en droit à Assas et en gestion à Dauphine, avant de se lancer dans un troisième cycle en affaires internationales. C’est grâce à Andersen qu’Olivier Vergniolle a trouvé sa voie. Le jeune avocat, qui avait envoyé au cabinet son CV sans postuler précisément à un poste et ne sachant pas choisir entre finance, fiscalité et consulting, a été choisi dans la première spécialité. Après Andersen, il passera un temps chez EY avant de monter Arsene.
Pierre Marchand, lui, était tout aussi éclectique. Accepté en prépa HEC, littéraire et scientifique, il opte pour la troisième, qui lui ouvre les portes de Supélec puis de Grenoble-INP. Une thèse en informatique et télécoms en poche, il commence sa carrière en tant qu’ingénieur de recherche au sein de Sagem (groupe Safran), puis rejoint Nortel Network (ancienne entreprise du secteur des télécommunications) en 1999, en qualité de développeur et architecte logiciels. Par la suite, il rallie NEC Technologies UK en 2004, où il devient principal engineer. Après avoir été responsable de différentes équipes, Pierre Marchand décide de créer sa propre société techno avec trois associés. Au sein d’Arsene depuis neuf ans, il a développé un service de crédit impôt recherche (CIR), un dispositif à la croisée des chemins entre la fiscalité et la recherche.
Faire soi-même
Parallèlement au CIR, Arsene s’est demandé comment accompagner ses clients sur le sujet protéiforme du digital. Sa réflexion a donné naissance à la filiale Innovation, où la nouvelle direction distingue trois grandes orientations de développement. D’abord avec l’"IT plus" où l’"on peut imaginer des plateformes qui permettent un partage de connaissances plus important avec nos clients", explique Pierre Marchand.
Il y a également la catégorie dite des systèmes experts et de calculs. "Ils se prêtent bien à la fiscalité car elle est liée à des règles qui dépendent de nombreux paramètres interdépendants", ajoute le directeur. "Il faudrait des systèmes capables de faire davantage de calculs et plus vite qu’un humain, mais adaptables par les avocats eux-mêmes car la fiscalité est mouvante." Par exemple, Arsene a élaboré un outil pour lire intelligemment les fichiers d’écritures comptables (FEC), les conseils ayant besoin de s’assurer de la nature et du contenu des documents requis par l’administration fiscale lors des contrôles. "Notre outil nous permet d’élaborer des requêtes qui nous semblent pertinentes", poursuit Olivier Vergniolle, qui estime que les offres sur le marché ne leur convenaient pas et qu’il valait mieux développer soi-même ses idées. Quitte à un jour envisager de vendre ces solutions, même s’il ne s’agit pas du but premier.
Troisième orientation, celle des sujets d’intelligence artificielle, au sens du machine learning. Par exemple, dans le cadre d’une acquisition, il est possible d’imaginer que l’IA permette de passer au crible la data room d’une société cible afin de mettre en lumière tous les éléments pertinents, y compris ceux liés à la fiscalité. Certains métiers du droit ont développé de telles machines, mais ces développements se révèlent plus compliqués sur une fonction, parfois support, comme la fiscalité. En effet, les cas similaires, à partir desquels la machine va apprendre, sont limités. Et ce d’autant plus que la machine ne peut pas savoir si tel ou tel élément qui n’est pas directement lié à la fiscalité peut sous-tendre un composant fiscal à ne pas négliger. Ce qui pose la question de la faisabilité d’une telle technologie.
Pierre Marchand prend l’exemple (de ce qui est parfois qualifié de légende urbaine) de la Royal Air Force qui souhaitait améliorer le taux de survie de ses avions pendant la Seconde guerre mondiale. Pour ce faire, les ingénieurs ont scruté les impacts de balles de ceux qui revenaient et ont renforcé le blindage des parties touchées. Or, cela n’a pas eu d’impact sur les retours des pilotes. En effet, les scientifiques ont fait l’impasse sur les avions qui ne revenaient pas. Lesquels n’étaient pas touchés aux mêmes endroits que les autres avions, certes abîmés, mais qui rentraient à bon port. Une machine aurait-elle pu faire mieux ? Rien n’est moins sûr, au contraire.
Pour réfléchir à ces différents volets, aux horizons plus ou moins lointains, l’équipe évolue. Aujourd’hui, composée d’une petite dizaine de personnes, des scientifiques et un développeur, elle est appelée à grandir pour accueillir notamment quatre à cinq professionnels supplémentaires d’ici quelques mois. "On a toute une liste de souhaits des avocats fiscalistes", résume Olivier Vergniolle. Même si les machines viennent en support dans des proportions variables, il est bien entendu que le facteur humain restera primordial.