Stupeur dans la salle. Les élèves-avocats font part de leurs réprobations quant à l’attitude du professeur jugée incongrue par la plupart d'entre eux. Médusé par la réaction de l’ensemble de ses élèves, Grégoire Lafarge retire quelques tissus de vêtements et s’exclame « Ma religion à moi, c’est le naturisme », tout en quittant la salle.
Grégoire Lafarge compte parmi ses clients Florian Philippot, vice-président du Front National. En tant qu'avocat, Monsieur Lafarge est libre de défendre chaque individu indépendamment de ses convictions religieuses, politiques ou philosophiques. Il est donc regrettable que certains médias portent un jugement prématuré sur Grégoire Lafarge l'accusant de racisme en s'appuyant sur cet élément. Par ailleurs, plus qu'un éventuel jugement sur la position politique du professeur, l'incident met surtout l’accent sur la problématique liée au port du voile dans une école de formation des futurs avocats et plus globalement, sur la compatibilité du port du voile avec l’exercice de la profession.
En droit, aucun texte législatif ou règlementaire n’interdit le port du voile dans l’enseignement supérieur. La loi du 15 mars 2004 interdit le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics sur le fondement du principe de laïcité. Dans l’espace public, le port du voile est autorisé mais le port du voile intégral (burqa-couvrant le corps et le visage ainsi que les yeux dissimulés derrière une grille et niqab –couvrant le corps et le visage sauf les yeux) est interdit depuis la loi du 11 octobre 2010 sur la dissimulation du visage dans l'espace public. En l’espèce, l’élève-avocate arborait un « hijab », c’est-à-dire un foulard qui ne couvrait que ses cheveux et ne dissimulait pas son visage. Elle était donc libre de pouvoir porter son hijab au sein de l’EFB. A cela s'ajouter le règlement intérieur de l’EFB, centre régional de formation professionnelle, rien n’interdit le port de tels signes.
Grégoire Lafarge a semble-t-il souhaité établir une stricte application du principe de laïcité tendant progressivement à expulser tout fait religieux de la sphère publique. Cependant, un avocat doit respecter la loi qui ne prohibe pas le port du voile dans l’enseignement supérieur. Guidé par ses émotions (peut-on croire amplifiées par les récents attentats à l’encontre du journal Charlie Hebdo du 7 janvier dernier, qui d’ailleurs ne doit pas amener de confusion entre port du voile et fondamentalisme religieux) il n’a pas su les maîtriser ce jour-là. Grégoire Lafarge a ainsi été au cœur d’une polémique dont il subit également les conséquences. Le cours de déontologie au pénal, excellent cours relatant les « tribulations de Monsieur G. » au pénal, ne seront plus dispensés aux élèves-avocats.
Monsieur Grégoire LAFARGE aurait pu penser que cette étudiante, voilée certes, avait l’incroyable possibilité d’avoir son destin en main et de faire ses propres choix en accédant à une école d’excellence telle Shirin EBADI, avocate iranienne voilée (le port du voile par les femmes étant obligatoire en Iran) et prix Nobel de la Paix. Lors de son discours, celle-ci expliquait que « (cette) distinction sera(it) une inspiration pour toutes les femmes qui se battent pour leurs droits, non seulement en Iran, mais dans tous les pays alentour. Cette distinction les aidera à croire en elles-mêmes»[1]. Le voile de cette élève-avocate ne veut pas dire qu’elle n’est pas apte à se battre pour exercer ses droits et défendre ceux de son futur client. Ainsi pouvait-on attendre de Grégoire LAFARGE une attitude tolérante lui permettant d’apprécier le brillant parcours de cette étudiante quoiqu’il puisse penser du port de son voile.
Le port du voile est-il compatible avec l'exercice de la profession d'avocat ?
La réponse est claire. Dans un communiqué, Pierre-Olivier SUR, bâtonnier du Barreau de Paris et Laurent Martinet, vice-bâtonnier du Barreau de Paris, ont rappelé que « le port de la robe est évidemment exclusif de celui de tout signe religieux distinctif ». Le port de la robe est réglementé et uniformisé pour tous les avocats sans signe distinctif d’origine religieuse, philosophique, politique ou culturelle.
La question s’est déjà posée en Belgique. Les arguments retenus par le Conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles sont pertinents. L’avocat doit s’abstenir du port public de tout signe distinctif d’origine religieuse, philosophique, politique et culturelle pour trois raisons :
Premièrement, les avocats doivent être traités d’une manière égale dans l’exercice public de leur profession. Le port d’un signe distinctif dans la pratique de celle-ci est de nature à rompre cette égalité. L’avocat est également acteur d’une justice indépendante. Le principe d’indépendance lui impose, notamment dans l’exercice de ses fonctions de représentation de ses clients, de ne faire état ni d’exprimer d’une manière ou d’une autre ses conceptions philosophiques, politiques ou religieuses[2]. Enfin, il bénéficie du monopole de la plaidoirie devant les juridictions et ce monopole entraîne des obligations, dont celle de ne défendre ses clients qu’avec le verbe et l’écrit sans recours à des signes distinctifs ou à des symboles d’appartenance à un groupe ou à une communauté déterminés.
Le corps des avocats est un et indivisible, mis sur un pied d’égalité par une tenue spécifique, identique pour les femmes et pour les hommes, de petite taille ou de grande taille, fort ou fin, de toute confession. L’avocat qui enlève sa robe pourra de nouveau être l’Homme et s'exprimer s’il le souhaite sur ses convictions. Ainsi, il semble inutile de redéfinir le principe de laïcité lorsque les règles liées à l’exercice de la profession suffisent à elles-seules pour justifier l’interdiction de tout signe religieux distinctif lorsque l’avocat porte la robe.
Sonia Ben Mansour
Juriste titulaire du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat
Doctorante à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
[1] Discours de Shirin EBADI : http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureate/2003/ebadi-lecture-e.html
[2] Conseil de l’Ordre français des avocats du barreau de Bruxelles, Recueil des règles professionnelles, n°148