Carrières-Juridiques.com : Que répondez-vous à Cécile Dekeuwer pour qui le legal privilege n’est pas indispensable à l’activité du juriste d’entreprise [1] ?
Stéphanie Fougou : Madame Dekeuwer parle tout d’abord de la réputation négative du juriste au sein de l’entreprise. Je pense que cette situation a largement évolué, en témoigne la présence grandissante des directeurs juridiques au sein des comités exécutifs ou des comités de direction[2].
Le problème qui se pose aujourd’hui pour les juristes c’est l’absence de confidentialité de leurs actes. Les exemples sont très concrets. Prenons celui de la création d’une société. Les juristes, à l’instar des avocats sont, à cet effet, invités par leur directions générales à évaluer les impacts de chaque option et proposer des recommandations. Il est indispensable pour la bonne gestion de la sécurité juridique, que ces avis puissent être donnés sans encourir le risque d’être utilisés à charge contre un dirigeant. Autre situation encore, à l’international, certains directeurs juridiques étrangers refusent de faire parvenir des documents aux responsables juridiques français qui n’ont pas le legal privilege, ce qui les exclu de certaines opérations juridiques qui ont pourtant lieu sur le territoire français. Ce genre de situations, c’est le quotidien, la réalité de notre métier. Je me réjouis que Mme Dekeuwer n’y ait pas été confrontée, mais je crains que cela soit une exception.
C-J.com : Depuis deux semaines, vous critiquez ouvertement le comportement des avocats concernant les débats autour de la loi Macron. Avez-vous tenté de discuter avec le CNB ?
S.F : Nous essayons de discuter avec le CNB depuis des années. Nous ouvrons des portes en organisant des colloques où professeurs et avocats sont conviés pour venir débattre. Nous avons initié une réflexion sur la confidentialité qui a donné lieu à un colloque il y a quelques mois et la diffusion d’un magazine Juriste d’entreprise AFJE spéciale sur le sujet avec la contribution de juristes, avocats, professeurs. Depuis le début des discussions autour du projet de loi Macron, le CNB s’oppose à l’avocat en entreprise avec des arguments injustifiés.
Depuis que je suis présidente de l’AFJE, j’écoute, je réponds à chaque point soulevé et j’essaye d’œuvrer pour rassurer ceux qui semblent inquiets. Certaines institutions représentatives des avocats refusent toutes les solutions envisagées pour améliorer le statut du juriste d’entreprise. Nous demandons des choses indispensables et urgentes pour l’entreprise en France. Les avocats doivent rester raisonnables et garder en tête que les juristes d’entreprise ne sont pas leurs concurrents, mais leurs clients. Cette confidentialité poursuit un objectif d’intérêt général qui nous bénéficiera tous.
C-J.com : Dans votre communiqué de presse du 10 février, vous demandez aux juristes de s’assurer que les avocats avec lesquels ils traitent soient favorables au legal privilege. Pouvez-vous nous en dire plus ?
S.F : La relation entre le juriste d’entreprise et l’avocat est une relation de confiance. Les deux doivent donc être sur un pied d’égalité et partager une vision commune des éléments indispensables de leur relation. Pour cela, nous demandons aux avocats avec qui nous traitons qu’ils respectent nos valeurs et notre indépendance. En écoutant ce que nous disent certains au quotidien, je suis persuadée qu’ils sont déjà nombreux à partager cet avis.
C-J.com : Pensez-vous réellement qu’il soit possible pour les directions juridiques de se passer de l’expertise des meilleurs cabinets français ?
S.F : L’objectif n’est pas d’exclure les cabinets français. Nous souhaitons travailler avec des avocats qui nous proposent un service adapté, qui disposent de la compétence en adéquation avec nos besoins et avec qui nous travaillons en confiance et dans le respect mutuel de nos valeurs. Des expertises de qualité, il y en a dans beaucoup de cabinets un peu partout dans le monde. Nous n’avons aucun souci à travailler avec des cabinets étrangers ou français, tant que les compétences, la confiance et le respect sont au rendez vous.
C-J.com : Vous parlez également dans vos communiqués, de délocalisation des directions juridiques. Pensez-vous réellement que tous les services juridiques soient délocalisables ?
S.F : J’ai toujours œuvré pour rapprocher le juriste de son client final en termes géographiques, c’est le cas notamment sur des sujets sociaux. Il faut néanmoins convenir que bon nombre de sujets sont aujourd’hui très internationaux et se traitent depuis des pays différents
C-J.com : Vous faites aujourd’hui appel à la célèbre agence de communication Havas. Pensez-vous également vous armer en matière de lobbying ?
S.F : Nous travaillons avec l’agence Havas depuis le projet de loi Macron afin de nous accompagner dans la communication.
En ce qui concerne le lobbying, nous menons nos actions par nous-mêmes. L’AFJE a été créée il y a quarante-cinq ans par des juristes d’entreprise engagés pour la protection de leur profession. Elle regroupe aujourd’hui des experts qui interpellent directement les autorités publiques et connaissent parfaitement la problématique, la même depuis pres de 20 ans.
C-J.com : Les communiqués de presse reçus cette semaine sont co-signés par l’AFJE et le Cercle Montesquieu. Devons-nous voir là une éventuelle fusion entre les deux entités ?
S.F : Ce sujet n’est pas à l’ordre du jour. Le débat sur la confidentialité est un sujet d’intérêt commun, qui implique naturellement que nous nous engagions ensemble pour le bénéfice des entreprises et des juristes d’entreprises.
Propos recueillis par @CapucineCoquand
[1] Retrouvez notre article « Le legal privilege n’est pas indispensable à l’activité du juriste d’entreprise », rencontre avec Cécile Dekeuwer », le 30 janvier 2015.
[2] « 62 % des directeurs juridiques déclarent faire partie d’un comité de direction de leur entreprise », Cartographie 2014 des directions juridiques