Carrières-Juridiques.com : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, ainsi que votre cabinet de conseil spécialisé dans les professions juridiques LegaLinside ?
Jérôme Trichet : Titulaire d’un DEA de droit de la propriété intellectuelle, j’ai tout d’abord exercé le métier de juriste d’entreprise pendant plus de 15 ans au sein de directions juridiques de grandes entreprises, en particulier dans les secteurs des médias, de l'Internet et des télécoms.
Constatant tout au long de ce parcours que les directions juridiques, comme les cabinets d’avocats d’ailleurs, devaient de plus en plus faire face à des enjeux non plus seulement « techniques », mais relevant également du domaine du « management » (organisation, ressources humaines par ex), j’ai décidé en 2010, alors directeur juridique au sein d’un groupe audiovisuel, de me tourner vers le métier du conseil pour créer le cabinet legaLinside, dédié aux professionnels du droit.
legaLinsideest un cabinet de conseil en recrutement spécialisé dans le domaine juridique : nous conseillons d’une part, les entreprises pour le recrutement de leurs directeurs juridiques et de leurs équipes et d’autre part, les cabinets d'avocats et les cabinets de conseils en propriété industrielle pour le recrutement de leurs associés et de leurs collaborateurs.
Compte tenu de l’évolution des métiers du droit et des changements auxquels les juristes doivent faire face au cours de leur parcours professionnel, legaLiniside, propose également des services d'accompagnement et de coaching individuel et collectif.
C-J.com : Vous avez eu l’occasion d’évoquer « les directions juridiques à la conquête de la création de valeur » [1], vous pensez donc que les directions juridiques et avec elle la profession de juriste d’entreprise sont actuellement entrain d’évoluer ?
J.T : Cette évolution est engagée depuis plusieurs années et s’accélère. Nous sommes aujourd’hui dans une économie en profonde mutation, qui plus est en crise. Les organisations se transforment, les métiers évoluent… Les directions juridiques n'échappent pas à cette tendance. A mon sens, cette évolution est caractérisée par deux faits marquants.
Tout d’abord, l’expertise technique des juristes n’est plus suffisante. Pendant longtemps, le métier de juriste n’a consisté qu’en un métier d’expertise. Il s’agissait alors de dire et faire respecter le droit. Mais aujourd’hui, les juristes ne peuvent plus restés cantonnés dans ce rôle, car les entreprises ont renforcées leurs attentes à leur égard.
Par ailleurs, le droit n’est plus seulement perçu comme une contrainte mais également comme une source d’opportunités au service de la création de valeur pour les entreprises. Les directions générales admettent qu’une bonne gestion du risque juridique est un gage de performance et de viabilité de l’entreprise, un moyen de la valoriser, ou encore de développer de la reconnaissance et de la crédibilité tant auprès des clients que de partenaires, en particulier dans un contexte de développement. Certaines multinationales particulièrement innovantes l’ont d’ailleurs bien compris en faisant par exemple des tribunaux un véritable terrain de jeu…
Ces évolutions se traduisent alors par des changements d’organisation au sein des directions juridiques, mais également par de nouvelles compétences et dimensions attendues chez les juristes : capacité à développer une posture de « business partner » vis à vis de leurs clients internes, à communiquer, à convaincre, à « marketer » leur fonction, à fonctionner de manière transversale, en mode projet, dans des environnements variés et pluri-disciplinaires etc…
C-J.com : Pensez vous que le monde de l’entreprise évolue également à l’égard des directions juridique en générale et des juristes d’entreprise en particulier ?
J.T : Absolument. Cette évolution a d’ailleurs démarré il y a quelques années. Cantonnées dans un rôle de fonction dite « support », les directions juridiques ont été longtemps perçues comme des « centres de coûts », et les juristes parfois comme des « gendarmes », souvent amenés à freiner voire bloquer les projets. Puis, au même titre que les fonctions dites « opérationnelles », les directions juridiques ont été soumises à de plus en plus de pressions, notamment financières. Et pour y répondre, celles-ci se sont alors attachées à optimiser leur organisation et rationnaliser leurs coûts. Les directions juridiques ont alors peu à peu gagné en reconnaissance ; les changements de rattachement hiérarchique à un plus haut niveau dans l’entreprise en sont une illustration. Mais force est de constater que les attentes des entreprises à l’égard de la fonction juridique se sont aujourd’hui encore renforcées. Comme d’ailleurs l’ensemble des métiers du conseil, les directions juridiques doivent aujourd’hui faire face à un nouveau défi : convaincre également de la valeur qu’elles apportent. A cet égard, il me semble que le maintien d’une performance accrue dans la réalisation de leurs prestations, le développement d’une approche marketing de la fonction et la mise en place de relation de plus forte proximité avec ses clients internes constituent des axes de développement de nature à répondre à ce défi.
C-J.com : Pensez-vous que les directions juridiques souffrent d’un manque de communication, de marketing ou encore de visibilité ?
J.T : Les juristes ne sont plus aujourd’hui seulement des hommes (et femmes) de loi. Pour répondre au défi auquel elles font aujourd’hui face, les directions juridiques se doivent notamment d’aller plus encore à la rencontre de leurs interlocuteurs, pour les connaître - et se faire connaître ! - identifier leurs attentes, les comprendre et ajuster régulièrement leur offre de services aux besoins et problématiques qu’ils rencontrent. Les opérationnels ne souhaitent d’ailleurs plus être considérés comme des collaborateurs astreints au respect de procédures, mais comme des « clients ». Dans ce contexte, le développement d’une approche « marketing et communication » de la fonction me semble être un axe de développement incontournable pour les années à venir.
C-J.com : Comment appréhendez-vous ces évolutions dans le cadre de votre activité ?
J.T : En complément de notre expertise métier et de notre expérience opérationnelle, il me semble tout d’abord essentiel d’être en permanence observateur des évolutions et tendances du métier, afin de nous permettre d'appréhender avec acuité les besoins de nos clients et des candidats et de faciliter ainsi la réalisation de leurs attentes.
Souhaitant également être acteur de ces évolutions, nous nous appuyons et proposons à nos clients et candidats une approche « managériale » et non plus seulement technique du droit et de sa pratique.
Dans le cadre de nos missions de recrutement, cela se traduit par notre capacité à identifier les professionnels les plus compétents et les plus pertinents, en s’attachant non seulement à leur expertise technique, mais également à leur capacité à développer une posture de « business partner » au sein d’une organisation.
Nous constatons également qu’en complément de la formation juridique continue, il devient incontournable pour un juriste de réfléchir également au cours de sa carrière à sa trajectoire professionnelle pour mieux la maîtriser et la valoriser, de surmonter certaines difficultés ou d'adopter de nouveaux comportements favorisant sa performance individuelle et/ou celle de son équipe. Pour les entreprises et les cabinets, il est essentiel d'attirer, de fidéliser et d'accompagner le développement de leurs talents, de mettre en adéquation leurs besoins en compétences avec les profils de leurs collaborateurs et leur dynamique de carrière individuelle. C’est pour ces raisons, qu’il nous est apparu opportun de développer également une activité de « talent development », consistant à proposer aux professionnels du droit des services d'accompagnement et de coaching individuel et collectif.
Partager enfin notre expérience et notre vision du métier avec les plus jeunes revêt pour nous un sens particulier. C’est pourquoi legaLinside a choisi, dans le cadre de son activité « pro bono », de mettre volontairement et gracieusement son expertise et son expérience au service des étudiants en droit qui seraient à la recherche d'informations ou de conseils tout au long de leur parcours universitaire, afin de leur permettre de réaliser leur projet professionnel.
[1] “Les directions juridiques à la conquête de la création de valeur” – Le Cercle Les Echos - 21 janvier 2014
Propos recueillis par Capucine Coquand, responsable presse pour Carrières-Juridiques.com