La dernière séance du premier tour de la Conférence du stage des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation s'est déroulée entre les murs de la magnifique bibliothèque du Conseil de l'Ordre. La consigne du Barreau est d’appliquer le triptyque cicéronien : « Etre éloquent, c’est instruire, plaire et émouvoir ».
C'est dans une ambiance solennelle et intimiste que trois jeunes avocats ont plaidé devant un jury formé des quatre secrétaires de la conférence du stage, sous la présidence de maître Gilles Thouvenin, président de l’Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, et d'un public composé d'une vingtaine d'étudiants, de jeunes avocats et de quelques rares néophytes.
Ils se sont confrontés à la question soulevée par un arrêt rendu récemment par la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH, 27 juin 2013, Vassis et autres c/ France): le placement en garde-à-vue de suspects d'ores et déjà privés de liberté depuis plusieurs jours à la suite de l'interception d'un navire en haute mer, porte-t-il atteinte aux dispositions de la Convention de sauvegarde ? Ou la mise en balance entre le respect des libertés individuelles et la lutte contre le trafic de drogue.
Deux candidates ont soutenu la thèse des demandeurs, c'est-à-dire celle de la défense des suspects retenus des jours durant dans l'irrespect des règles édictées par le Code de procédure pénale et la Convention de sauvegarde des droit de l'Homme et des libertés fondamentales.
Un autre, qui a soutenu l'antithèse, défend brillamment la nécessité de retenir ces suspects le temps de leur arrivée sur la terre ferme afin de pouvoir les juger.
Si la CEDH s'est prononcée en faveur d'une atteinte à la Convention en condamnant la France pour ne pas avoir présenté les suspects devant un juge indépendant avant 20 jours, il aurait pu en être autrement de la part de la quatrième secrétaire de la conférence, Elodie Pradeau, qui a pourtant rendu son rapport final en soutenant la même thèse.
Les jeux sont faits, le temps du vote du jury et du public est arrivé. Quelle plaidoirie l’emportera ? Qui a su convaincre ? L'argumentation des demandeurs a prévalu, à 14 voix contre 12.
L'éloquence féminine a indéniablement marqué cette rencontre. Des argumentations récitées comme des poésies, pas un bégaiement ni une hésitation, un rythme calme et précis et quelques envolées lyriques ponctuées de citations bien choisies. Un champ lexical mêlant le littéraire, l'artistique et le juridique permettant au novice de comprendre l'enjeu du sujet. Des logiques déroulées méthodiquement en deux parties et deux sous-parties, comme en fac de droit, allégées par des citations de Rousseau, Montesquieu, Alain, Becket, Hugo, Conan Doyle, Malraux, Baudelaire...On en sort absolument convaincu et habité par les paroles de Benjamin Franklin selon qui la liberté ne peut être sacrifiée sur l’autel de la sécurité
Il reste désormais deux heures à patienter avant de connaître enfin les résultats du premier tour et les douze candidats sélectionnés pour le second. Les mines sont détendues et l’ambiance est à la camaraderie.
Retour à la bibliothèque, la tension est à son comble, à en faire pâlir plus d’un (un jeune candidat fait une syncope !), l’assistance est nombreuse (une bonne quarantaine de candidats, et une vingtaine de professeurs de droit et d’avocats). Le président de l’Ordre désigne enfin les lauréats du premier tour et leur fait tirer au sort, sous le contrôle d’un illustre professeur de droit public invité, leur sujet pour le second tour. Surprise, aucune des deux filles ayant convaincu l’audience en début d’après-midi n’est retenue, mais le garçon ayant tenu le rôle difficile du défendeur fait partie des douze !
La déception se lit sur les visages de ces deux toutes jeunes avocates. Mais elles sont chaleureusement invitées à boire « le verre de l’amitié » avec les autres candidats, heureux et malheureux, leurs pairs et parfois mentors.
Par Anne MOREAUX, pour les Affiches Parisiennes.
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