L’institution représentative des avocats français vient de rendre publiques les préconisations des candidats à la présidentielle en matière de justice. Le Conseil national des barreaux (CNB) avait en effet lancé une campagne consultative auprès des avocats pour recueillir leur avis sur l’exercice de leur profession et l’organisation de l’institution judiciaire. De cette consultation était né un recueil de propositions déposé sur le bureau de chaque candidat en février dernier. À quatre semaines du premier tour, le CNB publie leurs réponses. Une démarche à saluer face à la pauvreté du débat politique sur le sujet depuis le début de la campagne.
Justice : des réponses unanimes
Sur le chapitre de la justice, tous les candidats s’accordent à dire que son budget est insuffisant. Tous l’augmenteront. Et lorsque le CNB propose un financement de l’aide juridictionnelle par la création d’une taxe sur les actes juridiques, les réponses sont tout aussi unanimes pour la rejeter. François Fillon et Nicolas Dupont-Aignan se tournent vers le système assuranciel. Emmanuel Macron pense à un avocat salarié ou un collaborateur de l’Ordre pour remplir cette mission et à un financement supplémentaire. Marine Le Pen veut quant à elle lutter contre les abus par la création d’une carte d’aide juridictionnelle tandis que Jean-Luc Mélenchon la finance par les deniers publics, grâce aux économies réalisées après la dépénalisation du cannabis et la décroissance carcérale. Enfin, Benoît Hamon veut relancer le dialogue avec les avocats pour élaborer un mécanisme efficient.
Les avocats suggèrent de faire évoluer l’action de groupe : ils veulent à 92 % avoir la possibilité de l’engager en cas de défection des associations agréées. François Fillon et Marine Le Pen y adhèrent. Emmanuel Macron et Benoît Hamon, fiers de l’introduction de ce nouveau recours juridictionnel sous le mandat de François Hollande, attendront un bilan avant de se prononcer. Jean-Luc Mélenchon et Nicolas Dupont-Aignan proposent quant à eux d’en étendre le recours.
Pour diminuer le délai de traitement des procédures juridictionnelles, les candidats utilisent tous le même argument : le numérique. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon embauchent et augmentent le budget, Nicolas Dupont-Aignan uniformise les procédures, François Fillon simplifie les procédures pénales et Emmanuel Macron encadre la durée de la mise en état. Benoît Hamon se satisfait de J21.
Naturellement, la question des modes alternatifs de règlement des conflits met en valeur leur couleur politique : Jean-Luc Mélanchon et Marine Le Pen s’en méfient, Benoît Hamon les favorise sous l’auspice du juge, François Fillon, Emmanuel Macron et Nicolas Dupont-Aignan veulent les développer.
Économie : le scepticisme règne
Les propositions économiques et financières des avocats sont très précises et concernent avant tout l’exercice de leur métier. Lorsque le CNB interroge les candidats sur la TVA payée sur les honoraires d’avocats, leur suggérant d’aligner les personnes physiques sur les personnes morales, certains sont sceptiques. Benoît Hamon, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon contournent la question, François Fillon veut une étude approfondie, Emmanuel Macron est contre. Seul le candidat de Debout la France veut exonérer de TVA les honoraires d’avocats portant sur des dossiers non professionnels (droit du travail, du logement, de la consommation et des personnes).
Le CNB propose aussi de baisser les charges pesant sur les professionnels libéraux. Exceptés le candidat de La France insoumise, taiseux sur la question, et celui du PS, proposant la création d’un statut unique pour les actifs, tous y adhèrent. Pour ce qui est de revoir le régime social des indépendants (RSI), Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen ouvriront le système général de la sécurité sociale à tous, Emmanuel Macron va plus loin en supprimant le RSI, Benoît Hamon et Nicolas Dupont-Aignan en créant un statut unique pour les actifs, le candidat LR transformant le RSI en caisse de protection des indépendants.
Le secret professionnel les passionne
Un deuxième chapitre se focalise sur l’exercice professionnel avec une série de questions relatives à l’acte d’avocat, au secret professionnel et à la formation des avocats. Le premier ne semble pas passionner les candidats, qui, au mieux, valident la force exécutoire de la copie numérique. La confidentialité des échanges avec l’avocat les intéresse nettement plus, notamment ceux qui connaissent personnellement la procédure pénale. Marine Le Pen ne manque pas de rappeler qu’elle sanctionnera toute violation du secret de l’instruction et plus généralement tout manquement au secret professionnel qui ne souffre d’aucune exception. François Fillon se dit « favorable à la restauration du secret professionnel de l’avocat », laissant penser qu’il a totalement disparu. Emmanuel Macron relève l’intérêt pour le citoyen plus que le privilège pour l’avocat mais s’en réfère au juge. Seul Jean-Luc Mélenchon refuse de le rendre absolu et de le placer au-dessus de la justice. Aucun candidat n’évoque l’état d’urgence à ce stade.
Sur la formation des avocats, le CNB propose une réforme de l’école et la multiplication des passerelles entre professions du droit. Sans surprise, Marine Le Pen, Nicolas Dupont-Aignan et Emmanuel Macron suppriment les écoles de chaque profession et créent une formation commune, ce à quoi se refuse Benoît Hamon qui se contente par ailleurs de la mobilité existante. Le candidat PS souligne la mise en place d’un examen national d’entrée à l’école quand François Fillon appelle à un examen national d’aptitude de la profession (sic !). Le candidat LR veut par ailleurs augmenter le nombre de magistrats ne provenant pas de l’ENM.
Sur la réglementation encadrant les legal tech, que le CNB appelle de ses vœux, tous s’en remettent à la concertation, excepté Emmanuel Macron, épiloguant sur son sujet de prédiction, et Benoît Hamon, souhaitant les encadrer pour éviter une concurrence déloyale
Droits individuels : le CNB ne mâche pas ses mots
En matière de droits fondamentaux, le CNB ne mâche pas ses mots. Face à certaines personnalités publiques appelant la sortie de la France de la Convention européenne des droits de l’homme, les avocats demandent un engagement. Une question suffisamment large pour que la réponse de chacun corresponde à une couleur politique. Pas de coupure avec l’Europe pour Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan et Emmanuel Macron. Partisane d’une sortie de l’Union européenne, Marine Le Pen refuse logiquement l’autorité de la CEDH. Quant à François Fillon, sa réponse est plus nuancée : « Il faut évaluer précisément l’impact sur notre droit de la CEDH », le candidat poursuivant par l’exemple de « l’impossibilité dans un certain nombre de cas d’extrader les terroristes étrangers vers leur pays ».
Faut-il prolonger l’état d’urgence ?
Non pour l’ensemble des candidats, excepté Emmanuel Macron et François Fillon qui attendront d’avoir connaissance des éléments nécessaires à l’examen de cette question.
Quant à un changement de la Constitution pour y inscrire le droit à l’assistance d’un avocat, chacun s’y refuse, sauf Nicolas Dupont-Aignan qui accepte d’en examiner l’opportunité et Jean-Luc Mélenchon, qui instaura une VIe République dont l’acte fondateur pourra protéger ce droit.
Les avocats clôturent leur interpellation avec le sujet de l’égalité homme/femme. L’occasion pour les candidats de détailler leurs programmes sur cette question. Un élément inédit parmi eux : Jean-Luc Mélenchon, qui est le seul à féminiser ses réponses – par des avocat(e)s – propose la création d’un pôle judiciaire de lutte contre les discriminations par cour d’appel.
Les avocats interpellent les candidats à l’élection présidentielle 2017, à retrouver ici