Carrières-Juridiques.com. Votre rapport remonte maintenant à plus d’un an (1). Quelles évolutions notables avez-vous pu remarquer depuis sa publication ?
Kami Haeri. Les tendances numéraires restent les mêmes puisqu’aucune des modifications que je préconisais dans mon rapport concernant l’examen n’ont été prises en compte. Le nombre d’élèves avocats ne cesse donc d’augmenter, ce qui crée une précarité sur le marché de l’emploi.
Nous remarquons depuis quelque temps que les demandes de stages ou de collaborations sont de plus en plus anticipées. Pour les stages qui ne débuteront qu’en janvier 2016, nous avons reçu des demandes dès le mois de septembre 2014. Nous recevons des CV pour des stages finaux dans le cadre de l’EFB, alors que les étudiants ne sont qu’à l’IEJ. Quant aux demandes de collaborations, nous en avons déjà pour septembre 2016. Cette anticipation est problématiquepuisque de notre côté, nous ne pouvons prévoir nos besoins en matière de collaborateur un an auparavant. À cela s’ajoute la légitime fidélité que nous devons à nos stagiaires, nous conduisant à les recruter en priorité en tant que collaborateurs.Cette précarité et cette angoisse perceptible au sein du jeune barreau sont nouvelles. Elles témoignent de l’embouteillage qui existe aujourd’hui à l’entrée de notre profession. Il faut avoir le courage d'examiner ces questions, sans pour autant se réfugier dans un numerus clausus.
C-J.com. Vous aviez relevé dans votre rapport une stagnation des revenus. Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui un fossé entre la réalité et les attentes financières des jeunes avocats ?
K. H. Tout le monde idéalise la profession qu’il est amené à embrasser. Ce n’est pas propre aux avocats. Je pense que nous n’enseignons pas suffisamment les multiples facettes de notre profession, les différentes manières d'y être heureux. On pense qu'il n'existe qu'un seul modèle de carrière. Nous devons, nous avocats, aller dans les universités et sensibiliser les étudiants sur la diversité de notre métier, les différentes matières mais aussi les différents modes d’exercice. Le droit social, par exemple, est un domaine en constante expansion, il détermine désormais la faisabilité de certaines opérations corporate et il est présent dans tous les types de structures. A d'autres matières (droit des personnes, droit de la famille, droit patrimonial) peuvent correspondre des structures d'exercice plus petites, mais peu importe au fond: tous les exercices sont légitimes. Il faut promouvoir cette diversité de nos expertises et de nos modes d'exercice. Nous ne le faisons pas assez.
Les jeunes doivent avoir en tête qu’être avocat, c’est être entrepreneur. Ils doivent faire ce dont ils ont envie, ce qui les touche, sans forcément penser à un modèle de carrière ou au seul critère de la rémunération. Il est dommage de voir certains jeunes choisir pour les premières années de leurs carrières un secteur, un type d'exercice, qui ne leur convient pas, uniquement parce qu'ils estiment qu'il est plus valorisant aux yeux d'autrui, plus stratégique ou plus rémunérateur. S'ils savent ce qu'ils aiment et souhaiteront faire plus tard, pourquoi ne pas commencer tout de suite? Certains avocats connaissent nécessairement des débuts difficiles avec des résultats peu gratifiants d’un point de vue financier, mais si c'est leur passion, ce qui les anime, alors je pense que nous devons les encourager, les soutenir, afin qu'ils s'accrochent. C’est à nous, leurs modestes aînés, de faire un effort pour sensibiliser les plus jeunes à ces questions, essayer de leur apporter énergie et sérénité.
C-J.com. L’enquête que nous avons réalisée l’année dernière à propos de la formation pointait du doigt les lacunes ressenties par les jeunes avocats sortant de l’école, notamment en langue, en procédure….
K. H. Il faut bien avoir en tête que l’EFB est une école où sont dispensés des cours pratiques et où les cours théoriques n’ont normalement plus leur place. C’est à l’université que les étudiants doivent apprendre la procédure et les langues. D'où mes recommandations sur une sélection plus drastique sur la procédure et le grand oral au CRFPA. La question de l’anglais est aujourd’hui fondamentale car elle est déterminante pour le recrutement et la progression de la carrière. Une pratique approximative de l’anglais marginalisera un avocat dans certaines structures. Il existe aujourd’hui plusieurs façons de se perfectionner en anglais, notamment via les LL.M. Ceux-ci sont de bons atouts lorsqu’ils s’inscrivent dans une logique professionnelle. Le LL.M. est également un bon moyen de se familiariser avec la culture juridique, de se constituer un réseau d'alumni, si important dans le système américain. Mais de manière générale, il faut arrêter de penser à un modèle unique de formation avec un cursus normé et idéalisé. Notre profession est assez grande et diverse pour accueillir des profils variés et épouser la personnalité de ses membres.
C-J.com. Toujours selon notre enquête, plus de 81 % des jeunes avocats recherchent une collaboration en Île-de-France. Pensez-vous qu’il existe des solutions à cette hyperconcentration parisienne des jeunes avocats ?
K. H. Nous sommes une profession libérale et une planification territoriale à la soviétique est quelque chose d’impensable pour notre profession. Les avocats souhaitent légitimement s'installer là où se trouvent les clients: entreprises ou particuliers. Le barreau de Paris ne peut se délester de force pour remplir les zones où il n’y a moins d’avocats. C’est aux villes, aux régions, aux barreaux, de créer de l’attractivité. Le choix ou non d’aller en province est personnel et propre à chaque avocat. Il est vrai qu’en France, contrairement à nos confrères américains ou allemands nous sommes culturellement très centralisés. Les élèves avocats parisiens veulent rester à Paris et c’est leur droit de se battre pour y arriver. Et si des confrères formés en province souhaitent intégrer le barreau de Paris, il serait scandaleux de les en empêcher. En revanche, je pense que la création de barreaux de régions ainsi que la multipostulation permettraient de renforcer les barreaux de province, de leur donner une masse critique, une plus grande puissance économique et une plus grande attractivité. Au lieu d’avoir 160 barreaux, nous en aurions une vingtaine, organisés dans le ressort des différentes cours d’appel. Cela encouragerait peut-être les jeunes confrères à s'y installer, à envisager d'autres options qu'une carrière à Paris. Cela renforcerait la gouvernance de la profession, et valoriserait toute notre profession.
C-J.com. Qu’avez-vous envie de répondre aux 30 % de jeunes avocats qui déclarent ne pas avoir confiance pour l’avenir de leur carrière ?
K. H. Je comprends leurs inquiétudes puisqu’ils sont de plus en plus nombreux à rentrer dans la profession aujourd’hui et que beaucoup souffrent ou se sentent fragiles. Certains d’entre eux sont dans une situation de grande précarité, se découragent. Cela contraste avec une sorte de prestige, une image d'Epinal de notre profession qui fait rêver certains étudiants en droit. Du coup la réalité est brutale. C'est à nous d'être loyaux, pédagogues et transparents à leur égard: La profession d’avocat est la plus belle, mais c'est l'une des plus difficiles aussi. Et il n’est pas garanti que tous parviendrons à en vivre, à s'y épanouir. Nous avons nous aussi, comme toutes les professions, nos situations d'échecs. Il faut avoir le courage de leur dire la vérité sur le droit, le marché qu'il constitue, les habitudes nouvelles de consommation, etc.
Mais si la situation est plus difficile qu’avant, je pense aussi que certaines évolutions sont positives. De nos jours, les jeunes avocats qui lancent leurs cabinets sont plus aisément visibles. Les nouveaux outils de développement dont ils disposent sont moins coûteux qu’avant. L’accès à la connaissance est également plus facile avec toutes les bases de données en ligne. C’est encore une fois à nous les ainés, de les accompagner et de les rassurer lorsqu’ils connaissent des débuts difficiles. Nous devons multiplier les initiatives d’entraide. Je pense que la mise en place de parrainages serait un bon début. Ce qui manque parfois à un jeune avocat, c'est tout simplement un parrain, quelqu'un vers qui se tourner pour évoquer librement ses doutes, ses questionnements.
Propos recueillis par Capucine Coquand
(1) : Rapport sur la réforme de l'accès initial à la profession d'avocat, novembre 2013.