Carrières-Juridiques.com. Selon vous, que faudrait-il faire pour favoriser l’insertion des jeunes avocats ?
Jean-Michel Darrois. À l’avenir, il est nécessaire de favoriser des relations étroites et organisées entre les universités de droit et le milieu professionnel. Cela permettrait au corps enseignant de connaître les capacités d’absorption du marché et surtout de savoir quelles seront les orientations du droit et les matières à l’honneur dans les prochaines années.
C-J.com. Dans votre rapport sur les professions du droit en 2009, vous préconisiez la création d’une école des professions du droit. Aiderait-elle à l’insertion des jeunes ?
J.-M. D. Aujourd’hui, le bâtonnier fait bouger les choses, de nouveaux cours font leur apparition à l’École du barreau, notamment un enseignement consacré à la gestion de cabinet. Cependant, au fond de moi, je pense que l’École du barreau telle qu’elle est aujourd’hui n’est pas adaptée. Entre le moment de l’obtention du CRFPA et du Capa, il se passe presque deux ans, c’est beaucoup trop long. Il me semble inutile de réapprendre aux étudiants ce qu’ils ont déjà acquis à la fac. L’École des professions du droit est une proposition qui permettrait de mettre en contact tous les futurs professionnels du droit.
Il serait intéressant pour l’ensemble de ces étudiants de se côtoyer et d’appréhender leurs méthodes de travail respectives. Les élèves avocats pourraient comprendre la manière de penser des magistrats et ces derniers la réalité des enjeux d’un dossier pour un avocat. Aujourd’hui, chaque métier suit sa propre formation sans favoriser les interactions entre elles. Prenons l’exemple de l’ENM, qui a des qualités certaines, elle forme des professionnels qui vont avoir beaucoup de pouvoir, sans jamais avoir été confrontées à la gestion ni à la réalité pratique d’un dossier.
C-J.com. Plus de 35 % des élèves avocats considèrent avoir des lacunes de spécialisation en sortant de l’École du barreau, qu’en pensez-vous ?
J.-M. D. La spécialisation est un concept très français. Dès la 6e, les jeunes doivent faire des choix d’orientation. Pour moi, cela doit se faire au cours de la vie professionnelle. En règle générale, la spécialisation est dommageable pour les jeunes et les cabinets. L’idéal est qu’ils acquièrent une large culture juridique mais aussi générale afin d’éveiller leur curiosité. Chez Darrois Villey Maillot Brochier, nous faisons en sorte que les juniors touchent à tout et se révèlent dans une matière. Les cabinets sont là pour parachever la formation de ces avocats débutants. Je me souviens de trois collaborateurs qui ont commencé dans notre cabinet avec des certitudes sur leurs futures spécialisations. Au fur et à mesure de leur parcours ils ont réalisé que ce qui les passionnait n’était pas du tout ce qu’ils avaient en tête à leurs débuts !
C-J.com. Quelles sont les qualités essentielles pour un jeune collaborateur ?
J.-M. D. En droit des affaires, les dossiers sont régulièrement liés au droit des sociétés, il est donc primordial que les jeunes aient des connaissances poussées concernant le fonctionnement des entreprises. C’est pourquoi lors des recrutements nous privilégions les doubles cursus. Cette double formation permet également aux jeunes d’acquérir une culture générale indispensable pour réussir, une rigueur dans leur réflexion ainsi qu’une méthode de travail exemplaire. Les formations universitaires sont de haute qualité, cependant je pense qu’il y a trop de cours magistraux. En France, la culture juridique est d’apporter des réponses et de connaître les lois, les textes et les jurisprudences, mais aujourd’hui tout cela évolue tellement vite qu’il devient plus compliqué de tout connaître ! Un bon avocat, que ce soit lorsqu’il négocie un contrat ou dans le cadre d’un procès, ne doit pas se reposer sur ses connaissances, il doit sans cesse s’interroger. Aux États-Unis, les étudiants apprennent à se poser des questions, c’est essentiel et une qualité incontournable dans notre métier. C’est pourquoi, une formation juridique universitaire complétée par un LLM est également adaptée à la formation d’un avocat.
C-J.com. Qu’avez-vous envie de dire aux 30 % des jeunes avocats qui déclarent ne pas avoir confiance pour leur carrière dans les années à venir ?
J.-M. D. Récemment, je discutais avec Franz-Olivier Giesbert, qui disait préférer avoir un enfant qui décide de devenir avocat plutôt que journaliste ! Les sociétés se judiciarisent, elles vont avoir de plus en plus recours au droit. Aujourd’hui, beaucoup de patrons de groupes internationaux sont des anciens lawyers. C’est un métier exigeant et passionnant ; le secteur est en croissance, ils peuvent avoir confiance.
Propos recueillis par Camille Drieu