Le monde juridique belge vient de passer une étape sans précédent vers la transformation numérique. Lex.be est en ligne depuis un mois. Ce site aux allures de Légifrance belge est l’œuvre d’une start-up qui, bien qu’ayant une démarche démocratique, n’en reste pas moins un acteur commercial. Fondé par Erik de Herdt, consultant juridique dans le secteur de la technologie, ce portail recense toutes les données sur la législation et la jurisprudence belge. Une révolution, sachant qu’en Belgique il n’y avait jusqu’à récemment que quelques bases de données, toutes vieillissantes. Mais il n’est pas seul derrière ce projet. Deux autres fondateurs font partie de l’aventure : Eric Rodriguez et Toon Vanagt, membres fondateurs de Data.be (1), un site fournissant lui des informations financières pour les utilisateurs. «Lex.be habilite les citoyens et les professionnels du droit à bénéficier d'un afflux massif d'informations et d’y trouver de la valeur (..) Lex.be vise à améliorer la transparence et l’intelligence», peut-on lire en parcourant le site.
Careers-In-Law.com. Pourquoi mettre sur pied un tel projet de référencement ?
Erik de Herdt. L’objectif premier est vraiment d’apporter plus de transparence dans la vie économique, comme Eric Rodriguez et Toon Vanagt le font avec Data.be du côté financier. Lorsqu’on s’est rencontrés il y a un an, on s’est demandé si on ne pouvait pas ouvrir les données pour le monde juridique. L’idée a été de développer un service pour rendre la vie des professionnels du droit plus facile en utilisant la technologie d’une manière pertinente. Les citoyens et entreprises belges ont un accès insuffisant aux ressources juridiques, ce qui les empêchent d’être efficaces. Notre plateforme est donc un outil unique. Nous avons constaté d’ailleurs que les utilisateurs ont eu des réactions très positives au lancement. Il semblerait qu’on était attendu sur le marché belge où le seul accès possible se faisait par un abonnement avec un acteur commercial.
CIL.com. Vous promettez une actualisation quotidienne… un travail de titan, non ?
E. d. H. Nous avons misé sur les algorithmes et cela a demandé un effort énorme. Nous croyons beaucoup en la technologie et n’avons pas pour ambition de monter un groupe de rédacteurs. L’équipe est composée de six data scientists, ils sont notre force pour que les arrêts soient mis en ligne quotidiennement.
CIL.com. Quel est votre business model ?
E. d. H. Notre modèle est freemium, les informations de base sont accessibles gratuitement. Notre plateforme recense les sources juridiques et nous avons créé des algorithmes pour une gestion des données efficace et structurée des deux millions de documents que nous avons. La recherche se fait sur texte intégral et quant aux services à valeur ajoutée, ils sont payants et plutôt destinés aux professionnels. Ces fonctionnalités vont permettre à chacun d’organiser son travail directement sur le site : de la sauvegarde des recherches, à la création de dossiers, avec aussi la possibilité de consulter leurs historiques. D’autres outils sont à l’étude pour, par exemple, créer des notes directement dans les publications comme nous le ferions avec un post-it.
« Nous avons créé des algorithmes pour une gestion des données efficace et structurée des deux millions de documents que nous avons »
CIL.com. Quels sont les prochaines étapes ?
E. d. H. Une partie des outils destinés aux professionnels est déjà mise en place et les autres fonctionnalités vont arriver dans un futur proche, c’est l’un de nos deux objectifs. Le second est de recenser de nouvelles ressources, notamment celles européennes. Lorsqu’on approfondira on trouvera même les décisions d’autorités telles que l’IBPT (2) pour les Telecoms. Il y a énormément de sources qui peuvent avoir vocation à venir enrichir nos bases de données, il y a donc encore beaucoup à faire. L’objectif est d’aller plus loin, et nous allons donner la priorité en fonction de la demande.
CIL.com. Quant à la doctrine...?
E. d. H. La plateforme a quelques références de doctrine, mais celle-ci n’y est pas directement présente. Nous pourrions créer des partenariats pour la rendre accessible sur notre plateforme, mais il y a aussi d’autres modèles à envisager. C’est quelque chose à voir dans le futur.
CIL.com. L’accès aux données (Open data) est-il un élément qui permet la démocratie selon vous ?
E. d. H. L’ouverture des données juridiques est une condition essentielle pour renforcer la démocratie. Les citoyens et les entreprises n’ayant pas accès à toutes les ressources juridiques existantes n’ont pas une visibilité parfaite. Ils ne peuvent de ce fait jouer un rôle actif dans l’économie et la communauté. Le but est d’ouvrir toutes les données juridiques en Belgique, il y a là encore un grand effort à faire, surtout par l'Etat. La directive PSI de 2013 (3) devrait normalement être transposée dans le droit national, ce qui n’est pas le cas pour le moment bien que des projets de lois ont été discutés. La base de données ouverte au niveau de la jurisprudence ne représente qu’une infime partie des décisions en Belgique. Des arrêts majeurs pour la vie économique ne sont pas disponibles. Il est difficile de se faire une idée précise de la jurisprudence sur un domaine en Belgique. À partir de ce moment-là, les acteurs économiques ne peuvent pas se battre avec les mêmes armes.
« Le but est d’ouvrir toutes les données juridiques en Belgique »
CIL.com. Une fois les informations recherchées, encore faut-il les comprendre. Avez-vous une idée pour aider les néophytes ?
E. d. H. Cela dépend plus des acteurs intéressés. C’est toujours simple au début d’ouvrir les données au public et je pense que le marché va réagir avec le développement d’applications qui viendraient compléter notre démarche. Une réflexion, un résumé, une mise à niveau des arrêts est possible, tout comme des mini-guides. Il est envisageable d’impliquer davantage les juristes, les professionnels ou le monde académique et les étudiants pour créer potentiellement un Wikipédia du monde juridique.
Valérie Cromer
Crédit photo : LaLibre.be
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(1) Data.be est né en janvier 2011 en tant que prototype open data, nommé « OpenBiz» et a été finaliste du premier Start-up Weekend belge. Le site permet aux professionnels d'accéder facilement aux informations des entreprises.
(2) Institut belge des services postaux et des télécommunications est un organisme public belge dont la mission consiste à réglementer et contrôler les services postaux et de télécommunications.
(3) Adoptée en juin 2013, la directive européenne dite « PSI » devait être transposée « au plus tard le 18 juillet 2015 » dans le droit national des 27 Etats de l’Union européenne. Cette Directive porte notamment sur les avancées récentes de l’Open Data. Surtout elle met en place un cadre juridique harmonisé qui sera un levier pour l’ouverture et de la réutilisation des données publiques partout en Europe. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2013:175:FULL:FR:PDF