Six mois avant le lancement de CaseLaw Analytics, son outil de quantification du risque juridique, Jacques Lévy Véhel était encore directeur de recherche à l’Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique). Fort de trente-cinq ans de recherche scientifique dans l’organisme public, le mathématicien a créé cette solution avec Jérôme Dupré, aujourd’hui avocat au barreau de Nantes mais également magistrat en disponibilité, sensible à l’insuffisance des moyens alloués à la justice et désireux de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges.
LES PROBABILITÉS POUR QUANTIFIER LE RISQUE
Spécialiste des probabilités, le mathématicien fait de l’évaluation des risques financiers sa marque de fabrique. « Il s’agit de les quantifier afin d’en établir une cartographie et de déterminer la probabilité que chacun d’entre eux se réalise », explique Jacques Lévy Véhel. Partant du constat qu’une décision de justice est difficilement prédictible, il a « appliqué cette méthodologie au droit » et a développé une approche analogue à celle employée avec succès dans d’autres domaines, la finance bien sûr, mais aussi la médecine.
Elle présente toute la gamme des décisions qui peuvent être rendues dans un dossier. Plus exactement, Jacques Lévy Véhel refuse l’idée que pour une même affaire, deux juges différents peuvent ne pas prendre exactement la même décision. De la même manière qu’un magistrat, s’il jugeait la même affaire deux fois, rendrait certainement deux décisions différentes en raison des éléments contextuels en jeu (état de fatigue, humeur, stress, etc.). Il existe donc un aléa irréductible lié au facteur humain. « Dans ce cadre, il ne s’agit donc pas de prédire l’issue d’un contentieux, mais d’établir les différents scénarios possibles sur la base desquels, par exemple, des négociations peuvent s’engager. » Pour les entreprises, CaseLaw Analytics est un outil fiable (tous les résultats sont prouvés mathématiquement et expérimentalement) qui permet de provisionner les coûts en fonction du niveau de risque accepté et des éléments contextuels précis du dossier. Du côté des avocats, la plateforme aide à la décision et leur permet de convaincre et rassurer leurs clients sur les suites données à leur dossier.
UNE MÉTHODE APPLICABLE À TOUS LES DOMAINES DU DROIT
La solution irrigue tous les domaines: droit de la consommation, droit social, droit commercial, marchés publics, droit à l’image, droit fiscal, etc. « Pour créer un contentieux, il faut compter trois à six mois, et le travail se décompose en 20 % de mathématiques et 80 % de droit », explique Jacques Lévy Véhel. Et d’ajouter : « Dans un premier temps, nous recherchons les critères sur lesquels s’appuient les juges pour prendre leur décision. Nous analysons ensuite une quantité importante de jurisprudences, principalement des arrêts d’appel ainsi que des données d’autres types. » C’est à l’issue de ce travail de recherche et d’analyse qu’intervient la phase de modélisation mathématique: « Nous donnons à la machine les règles de droit, puis nous lui apprenons à prendre des décisions indistinguables de celles prises par des magistrats », détaille le fondateur. « L’outil vous présente les résultats que vous obtiendriez si vous pouviez porter un litige cent fois devant telle cour d’appel », renchérit-il. Autrement dit, Case Law Analytics met à votre disposition cent « juges virtuels » qui, dans leur ensemble, rendent des décisions qui reflètent la pratique d’une cour sur un dossier donné. « Nos résultats sont toujours qualifiés, c’est-à-dire que nous précisons leur fiabilité, qui oscille entre 85 % et 95 % », assure le mathématicien.
UNE MACHINE BIEN LANCÉE
Case Law Analytics compte aujourd’hui huit collaborateurs et une vingtaine de clients. Avec un chiffre d’affaires 2018 visé à 800 000 euros, le business model repose pour partie sur des formules d’abonnement annuel et pour partie sur des codéveloppements ayant comme contrepartie un financement et une exclusivité. « Nous souhaitons que notre solution propose à terme de plus en plus de domaines contentieux sur étagère », conclut Jacques Lévy Véhel.
Pierre Allemand