Carrières-Juridiques.com. Pourquoi êtes-vous candidat au bâtonnat de Paris ?
Jean-Louis Bessis. Pour rétablir l’égalité de traitement au sein de notre Barreau, et prendre en compte la diversité des pratiques, des modes d’exercice, des revenus, des trajectoires des avocats. Le but étant de n’en favoriser aucune.
Notre profession connaît depuis 20 ans une polarisation des revenus, des carrières, des perspectives. Il n’est pas facile, pour les instances ordinales, d’endiguer cette dynamique de creusement des inégalités tant elle est puissante.
Au moins les avocats sont-ils en droit d’attendre de leurs instances ordinales, dans le cadre de leurs attributions, qu’elles imposent une égalité de traitement. Je pense, notamment, aux procédures disciplinaires.
Je souhaite placer ce bâtonnat sous le double signe de l’impartialité et du désintéressement. A cette fin, je prends solennellement l’engagement de diviser par trois ma rémunération pendant les deux années de mon Bâtonnat.
C-J.com. Pourquoi vous présentez-vous seul ?
J-L Bessis. Je me présente sans l’appui ou la béquille d’un Vice-Bâtonnier. Je sais. C’est un sérieux handicap. Mais je persiste et signe.
Cette trouvaille hasardeuse perturbe la gouvernance du barreau. Elle ne sert, au final, qu’à permettre l’élection des bâtonniers en cumulant les réseaux et le potentiel de voix du candidat au bâtonnat et de son partenaire. J’y vois une forme de tricherie.
S’il s’agit de se faire seconder, ou représenter, le Bâtonnier peut donner délégation à des membres du Conseil. Nombre d’entre eux seraient honorés d’exercer ce rôle, et de le faire gracieusement. Ils ont toute légitimité pour le faire, élus au même suffrage universel que le bâtonnier. De plus, celui-ci, outre le secrétariat général, dispose d’un cabinet pour l’épauler et le décharger de ses tâches.
Pour avoir siégé de 2010 à 2012 au Conseil de l’ordre, j’ai vécu de près l’échec de cette expérience, dès sa deuxième édition, quand la bâtonnière, un matin, a brutalement retiré toutes ses délégations à son vice-bâtonnier, dès le début de son mandat, sans oser pour autant le priver de ses émoluments.
Trois de mes compétiteurs font équipe avec un vice-bâtonnier. Ce faisant, ils s’interdisent de critiquer cette fonction. Pire, ils rivalisent de créativité pour lui donner un contenu positif.
C-J.com. Que pensez-vous du statut de la collaboration libérale ?
J-L Bessis. Il y a la théorie : l’article 129 du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, l’article 14 du RIN, et plus récemment l’article 18 de la loi n°2005-882 du 2 août 2005. « Le collaborateur libéral peut compléter sa formation et peut se constituer une clientèle personnelle ».
Et la vie réelle : un tiers des collaborateurs n’a pas de clientèle personnelle et parmi ceux qui en ont une, elle représente moins de 5 % de leur chiffre d’affaires. Trop de cabinets ne les laissent pas organiser leur temps de manière suffisamment flexible pour développer leur activité personnelle.
Les démarches d’autorégulation, comme la Charte des bonnes pratiques de la collaboration du barreau de paris, ou la nouvelle rédaction de l’article 13 du RIBP (révision annuelle de rétrocession et rencontre annuelle pour faire le point sur la collaboration) ont un impact encore limité.
Le contentieux autour de la requalification du contrat de travail reste un outil très imparfait de régulation des pratiques professionnelles.
Il appartient à l’Ordre de veiller au respect du statut de collaborateur libéral. Pour revenir à une pratique conforme à la Loi, il conviendrait de renforcer l’observation des cabinets qui reviennent régulièrement devant la Commission « Difficultés d’Exercice en Collaboration » ou la « Commission Requalification », ainsi que dans ceux dans lesquels l’Ordre constate un turnover inhabituel.
C-J.com. Quelle est votre position sur le statut de l'avocat d'entreprise ?
J-L Bessis. Je trouve étrange qu’une partie de la profession défende farouchement, à juste raison, le secret professionnel face aux tentatives diverses d’en réduire la portée (je pense à la directive « anti-blanchiment ») tout en s’apprêtant, d’une autre main, à le démembrer avec l’instauration d’un secret professionnel à deux vitesses ou la création d’une nouvelle profession réglementée.
Les avocats, dans l’avenir, quitteront le Barreau pour exercer quelques années dans l’entreprise ou l’administration, ou dans des professions connexes, avant d’y revenir. Pour le quitter, à nouveau. Ces allers-retours élèvent leur niveau de compétences en même temps qu’ils enrichissent la profession.
C’est déjà le cas : nombre d’avocats quittent l’exercice libéral pour entrer en entreprise. Et inversement, nombre de juristes d’entreprise en fin de carrière s’inscrivent au Barreau (beaucoup ayant passé le CAPA) et rejoignent des cabinets d’avocats comme « counsel ».
J’ai moi-même passé deux ans dans une organisation internationale : comme représentant permanent de la France à l’OMC, j’ai vécu la montée en puissance de l’organe de règlement des différends (ORD). J’y ai beaucoup appris.
S’agissant de l’avocat domicilié, je trouverai tout à fait admissible que des avocats se domicilient, à titre secondaire, voire même principal, dans des incubateurs ou des espaces de co-working, pour se rapprocher de leurs clients. La domiciliation dans une entreprise particulière m’apparaît, en revanche, plus problématique.
C-J.com. Les plateformes numériques - legal startups - constituent-elles un obstacle pour la profession d'avocat ?
J-L Bessis. La révolution numérique a jusqu’alors été plutôt bénéfique pour notre profession. Des progrès énormes ont été accomplis dans la numérisation sécurisée des échanges avec les juridictions à travers le RPVA ou entre avocats (via e-Barreau).
La profession n’est pas en pointe quant à l’usage qu’elle fait du numérique dans les relations avec les clients. C’est paradoxal, car nos échanges avec nos clients sont plus importants en volume et souvent encore plus confidentiels. Moins d’un cabinet français sur 100 est équipé d’un espace client sécurisé accessible depuis son site. Nous ne pourrons pas durablement continuer d’exposer nos échanges avec les clients, au piratage ou aux erreurs de destinataire. Au-delà de la sécurité, il convient de repenser la relation avocat-client au travers du numérique.
La profession s’expose au risque que des nouveaux venus (les fameuses Legal Techs) comblent ce déficit de proximité numérique avec ses clients.
Les Legal techs, au reste, ne forment pas un bloc.
Certaines s’adressent directement au public : en automatisant un certain nombre de prestations comme la rédaction de contrats personnalisés, voire même la résolution de litiges, et ce pour un tarif fixe. Elles risquent de déstabiliser l’équilibre économique fragile de nombreux cabinets. Il faudra encadrer leur développement. Je m’étonne, au passage, qu’un de mes compétiteurs propose que l’Ordre devienne « le régulateur des services juridiques en ligne ». C’est oublier un peu vite l’existence du CNB. Le CNB est ce qu’il est (et il faudra bien finir par le réformer) mais il reste l’instance représentative de la profession tant vis-à-vis des pouvoirs publics que vis-à-vis des autres professions.
D’autres Legal techs s’adressent aux professionnels du droit : elles permettent aux avocats d’offrir des services en ligne, d’améliorer leur productivité et de se positionner sur ce qui constitue leur vraie valeur ajoutée.
Certains de mes compétiteurs proposent que le Conseil de l’ordre fournisse un « Kit de l’avocat Connecté », voire même un « Pack Digital clef en main ». Le Conseil devra, selon moi, résister à la tentation de fournir un kit ou un pack, forcément standard, aux cabinets parisiens. Alors que les Legal techs rivalisent d’inventivité pour servir et anticiper les attentes de la profession, le Conseil de l’Ordre doit encourager l’innovation et la concurrence.
Bref : je penche plutôt pour une labellisation. Avec un accompagnement des cabinets par l’incubateur.
C-J.com. Jugez-vous la formation dispensée à l'EFB satisfaisante ?
J-L Bessis. 80 % des élèves avocats ayant suivi les cours de l’EFB il y a quelques années qualifiaient la formation de « moyenne » ou « mauvaise ». Ils dénonçaient les cours trop « théoriques ». Si j’en crois un sondage IFOP réalisé à la demande du Conseil de l’ordre en 2014 auprès des avocats, seuls 9 % d’entre eux jugent que la formation initiale qu’ils ont suivie à l’EFB est adaptée à leur exercice professionnel.
Les changements intervenus vont dans le bon sens, qu’il s’agisse des programmes (comme des formations aux relations avec l’entreprise ou avec les autorités administratives indépendantes), des stages à l’étranger ou des projets pédagogiques individuels, et notamment les PPI effectués en juridiction.
L’enseignement dispensé à l’école gagnerait à être plus pratique, couvrant à parts égales le conseil, la rédaction d’actes et le judiciaire. Avec un socle solide de compétences numériques.
Professeur des Facultés de droit, j’enseigne le fonctionnement de la justice depuis 40 ans. A Paris II, puis à Sciences Po, j’ai eu l’honneur de former avocats et magistrats.
L’instauration, très attendue, d’un examen national n’est pas un événement anodin. Il ne serait pas absurde de designer comme bâtonnier un avocat universitaire, capable de discuter avec les directeurs d’IEJ, universitaires qui sont tous mes collègues.
Pierre Allemand @Pierre_Ald
& Clémentine Anno @Clementine_Anno