« L'avocat est lié à la notion de problème, alors qu'il devrait être assimilé à la notion d'assistance », rencontre avec Jean-Marie Burguburu

 « L'avocat est lié à la notion de problème, alors qu'il devrait être assimilé à la notion d'assistance », rencontre avec Jean-Marie Burguburu

La profession d’avocat ne manque pas de participer aux débats d’actualité. Entre l’unité de la profession, le manque de popularité, l’avocat salarié en entreprise,  ou encore la réforme des professions règlementées, les sujets ne manquent pas. Le président du Conseil  National des Barreaux (CNB) Jean-Marie Burguburu nous livre ses impressions. 

Carrières-Juridiques.com : La profession d’avocat souffre  aujourd’hui d’un manque de clarté dans sa représentation (confusion entre les ordres, la conférence des bâtonniers, le CNB…). La Convention Nationale des avocats, avait-elle un objectif d’unité ?


Jean-Marie Burguburu :  La Convention Nationale des avocats a été totalement organisée par le CNB. Pour comprendre l’importance de l’événement pour la profession, il faut avoir en tête que le CNB est un établissement d’utilité publique, qui vise à représenter la profession. Cela fait de cet événement, le seul événement de la profession qui ne relève ni d’un ordre, ni d’un syndicat, ni d’une association. 


On peut parler d’une réussite et j’en suis personnellement fier, puisque a permis de réunir plus de 5000 personnes, dont une grande majorité d'avocats autour de plus de 72 ateliers, et d’invités de qualité tels que Robert Badinter, Bernard Henry Levy, ou encore Isabelle Falque-Pierrotin la présidente de la CNIL. Si l’on devait relever un point négatif, ça serait très certainement la faible présence des avocats parisiens, qui restent plus attachés à leur ordre qu’au Conseil national des Barreaux.

 



C-J.com : Comment expliquez-vous cette division entre les avocats de parisiens et leurs confrères de province ?


J-M.B : Il faut bien avoir en tête l’immensité du barreau parisien qui représente environ 40% du barreau français. Avec un nombre si important, le barreau de Paris a naturellement, voire inévitablement développé sa propre politique. Cette dichotomie existe depuis plusieurs années, mais nous la voyons particulièrement en ce moment parce que la profession est dans les projecteurs de l’actualité.


Le 7 juillet dernier, le CNB a appelé les avocats à la grève, pour dénoncer le montant dérisoire et le mode de financement de l’aide juridictionnelle. Nous avions lancé l’appel à la profession toute entière. Si ce mouvement a été suivi, il l’a surtout été par les avocats de province. Les avocats parisiens manquaient au rendez-vous. Ils ne se sentent pas particulièrement concernés par l’aide juridictionnelle. Cette situation illustre parfaitement la réelle séparation qui existe entre les avocats  de province et les avocats parisiens.  

 



C-J.com : La mise en lumière de la profession révèle aujourd’hui un manque évident de popularité, comment l’expliquez-vous ? Le mode de rémunération joue-t-il un rôle selon vous ?


J-M.B : Il est vrai que l’avocat n’est aujourd’hui pas bien vu. C’est regrettable. Je pense pour ma part qu’il souffre d’une mauvaise image. Il est trop lié à la notion de procès et donc de problème, alors qu’il devrait être rattaché à la notion d’assistance et d’appui.

Il est vrai que la rémunération des avocats a parfois du mal à être acceptée,  parce qu’elle n’est pas comprise. Le client doit comprendre et accepter que l’avocat ne se rémunère que grâce à ses clients. Il doit par la suite payer un certain nombre de charges. Le client doit bien comprendre que ce qu’il verse à son avocat ne lui revient pas directement. En plus des charges du cabinet, celui-ci doit supporter la TVA. Il est important que la profession communique mieux aussi sur ce sujet, pour justement éviter ce type de mauvaise réputation.

 



C-J.com : L’enquête que nous avons réalisée l’année dernière montre qu’une grande majorité des jeunes avocats qui ont cessé d’exercer la profession l’on fait pour obtenir un meilleur équilibre. Qu’en pensez-vous ?


J-M.B : La profession d’avocat est prenante et exigeante. Je pense néanmoins que la notion d’ « équilibre de vie » est une notion relativement nouvelle dans la profession et propre à la nouvelle génération. Lorsque j’ai débuté dans le métier,  la notion même d’ « équilibre de vie » n’existait pas. A titre personnel, il est vrai que ma vie professionnelle au sein du cabinet Gide m’a parfois amené à mettre de côté ma vie familiale.


Si la profession est prenante c’est également parce qu’elle est libérale. La vocation normale d’un jeune avocat est donc à terme de devenir, soit l’associé, soit le concurrent de son employeur. Une pression non négligeable pèse donc sur les épaules des jeunes avocats. Un avocat n’a pas vocation à rester collaborateur à vie.

 

Je pense qu’on peut toujours réussir à trouver un certain « équilibre de vie », même en travaillant beaucoup. Tout est finalement  question d’organisation, et d’objectifs professionnels.

 



C-J.com : Que pensez-vous du statut d’avocat salarié en entreprise, prévu dans la réforme des professions réglementées ?


J-M.B : Tout d’abord, il est nécessaire de garder en tête que beaucoup de juristes ne sont pas fait pour être avocat. Je le répète, mais l’avocat est une profession par nature libérale, ce qui signifie que l’ avocat est gestionnaire du cabinet et responsable de la relation avec ses clients. Les compétences juridiques, si étendues soient elles, ne font pas forcément d’un avocat, un bon avocat. Je pense qu’on peut même aller encore plus loin, et dire qu’un mauvais juriste peut faire un bon avocat, s’il s’entoure de bons juristes. 


Avec le Conseil National des Barreaux, nous sommes globalement réticents au statut d’avocat juriste en entreprise. Nous représentons la profession, qui, en majorité, craint un affaiblissement des valeurs. Parce que l’avocat est gardien des libertés, il se doit de garder son indépendance notamment par rapport au monde de l’entreprise.


Cette question est délicate, puisqu’elle illustre une nouvelle fois la distinction entre les avocats parisiens et les avocats de province. Toute la question est de savoir comment cela sera fait. Il ne faudrait pas par exemple, transformer les 16 000 juristes d’entreprise français en avocats, ce qui accentuerait encore un peu plus la proportion d’avocat dans le bassin parisien.

 



C-J.com : La profession voit aujourd’hui apparaître de nouvelles pratiques. Que pensez-vous de celle de l’Agence des Nouveaux avocats (1) ?


J-M.B : J’y suis favorable.  Dans ce projet, l’avocat est forcément proche du client, c’est un avocat de proximité. Alors du moment où l’avocat a la possibilité de s’enfermer dans une pièce privée pour que le secret professionnel soit respecté et qu’il est compétent, je ne vois pas le problème. Cela permet même de casser l’image de l’avocat « hautain » et inaccessible. Il est en revanche  indispensable de faire la part des choses et de comprendre qu’il y a bien un marché du droit, mais que les avocats ne sont pas des marchants du droit. Les avocats ne sont pas des commerçants. 



C-J.com : Enfin, Monsieur le président, comment voyez-vous la profession d’avocat en 2020 ?


J-M.B : 2020 c’est demain ! C’est un avenir qui est d’ores et déjà prévisible. J’espère tout d’abord que les questions de « gouvernances » seront réglées. Il est nécessaire de penser à la création d’un organisme national qui permettra à la profession de parler d’une seule et même voix. C’est toute la profession qui a besoin d’une gouvernance apaisée et représentative. Toute la difficulté sera de retirer une part de la responsabilité des ordres, pour les attribuer à un organe représentatif national.


Enfin et surtout, il est plus que nécessaire de réconcilier les avocats avec la population et de faire coller l’image à la réalité : celle d’une profession d’aide et d’appui.  




Propos recueillis par Capucine Coquand, pour Carrières-Juridiques.com



(1) : L'Agence des Nouveaux Avocats est un concept d'agence du droit, qui s'est donné pour objectif de replacer l'avocat au plus près de ses clients.