Le devoir de conseil de l'intermédiaire bancaire : les transformations du droit de la distribution bancaire vont nécessiter des compétences nouvelles

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Le devoir de conseil de l'intermédiaire bancaire : les transformations du droit de la distribution bancaire vont nécessiter des compétences nouvelles

Le Code monétaire et financier pose désormais, une obligation de conseil à la charge de l’intermédiaire en opérations de banque et services de paiement. (IOBSP). Toute récente (1er janvier 2013), encore mal connue, cette obligation de conseil concerne surtout le crédit. Elle impose des compétences nouvelles aux courtiers en crédit, mais la protection des consommateurs est l’affaire de tous les distributeurs bancaires.

 

Cette toute nouvelle obligation de conseil des IOBSP figure désormais au Code monétaire et financier (exactement, aux articles R. 519-21, R. 519-22, R. 519-28 et R. 519-29). Il en ressort que la réglementation de la distribution du crédit:


  • distingue principalement entre l’information, la mise en garde et le conseil ;
  • pose l’obligation de conseil pour l’Intermédiaire, mais pas pour la Banque, y compris dans son rôle de distributeur de crédits, position qui pourrait évoluer ;
  • dissocie l’obligation de conseil de l’IOBSP en général, plutôt proche d’une obligation de mise en garde, et l’obligation de conseil du Courtier en crédit, que nous pourrions qualifier de « renforcée ». Cette dernière revêt incontestablement la nature d’une obligation de conseil complète, ce qui est très innovant, d’un point de vue juridique.


Quelles conséquences sur la pratique bancaire, donc, sur les compétences professionnelles de ceux qui commercialisent les crédits ?


Rappelons que le Code monétaire et financier présente l’intermédiation en opérations de banque, comme « l’activité qui consiste à […] effectuer tous travaux et conseils préparatoires » (à la réalisation de ces opérations), d’après les termes mêmes de son article L. 519-1.


Conseiller, c’est, pour une partie, assister l’autre dans ses choix. C’est une « opinion exprimée pour engager à faire, ou à ne pas faire » (dictionnaire Littré, 1873). Une optique davantage financière, celle du Code monétaire et financier, donne –trop parcimonieusement- une idée de la définition du conseil. Il est le mieux défini en matière d’investissement (d’épargne), lorsque les travaux prennent la forme de "recommandations personnalisées " (art. D. 321-1 5° et art. 314-43 du Règlement général de l’AMF).


Il est encore fait peu de cas fait aux nouvelles obligations dont cet Intermédiaire bancaire est désormais débiteur. Celles-ci sont pourtant denses, comme nous allons le rappeler, mais elles laissent subsister de nombreuses interrogations. Disons les choses : après des années de résistance argumentée discutée, et qu’on la trouve justifiée ou non, l’obligation du conseil en crédits vient de faire un grand bond en avant. Est-ce un progrès ? Qu’en sera-t-il de sa mise en œuvre ? Les difficultés théoriques, encore mal éclairées, laissent surtout la place à une certaine complexité d’application.


Par souci de simplification, nous bornerons ce commentaire aux opérations de crédit et nous choisirons de désigner les établissements de crédit sous le terme de banques.

Informer, c’est partager des données objectives, en l’occurrence, entre co-contractants, sans émettre d’avis quant aux conséquences de ces informations.


Conseiller, c’est orienter le choix du client en formulant des préconisations argumentées.


Un degré supplémentaire s’est immiscé entre les deux : l’obligation de mise en garde. Elle consiste à adresser un avertissement au client qui envisage un choix de produit. Juridiquement fine, elle s’intercale donc entre l’information et le conseil. Elle est due soit aux clients non avertis, soit avertis, mais en déficit d’informations, selon une jurisprudence récente.


Rappelons que l’IOBSP est également débiteur d’une obligation générale de loyauté, au titre des règles de bonne conduite (ou de « conduite des affaires »).


Les banques distributrices doivent l’information et la mise en garde (Cour de cassation, trois arrêts du 12 juillet 2005), pas de conseil en crédit (Cour de cassation, 27 novembre 2012 : la banque n’a pas à « s’immiscer dans la gestion des affaires de son client »). Mais cela pourrait bien évoluer. Nous ne détaillerons pas ici les raisons, étayées, qui soutiennent cette solution. Pour leur part, les IOBSP doivent l’information, la mise en garde et le conseil. Ceci crée donc, en Droit, deux régimes distincts de distribution du crédit.

Pour l’IOBSP pris génériquement, c’est plutôt l’obligation d’information qui domine.


Au titre de cette obligation d’information, l’IOB aura intérêt, en pratique, à distinguer deux cas : les informations données au titre de la prestation d’intermédiation et celles touchant directement au choix du crédit, lequel incombe au client. Les premières découlent des articles R. 519-20, et suivants, du Code monétaire et financier ; tout IOBSP doit éclairer le client sur de nombreux points, tels que son nom et sa dénomination sociale exacts, son statut d’IOBSP, doit donner une procédure de réclamation ou encore, des informations quant à sa rémunération, pour ne prendre que quelques exemples.


L’IOBSP doit veiller à l’obligation de mise en garde, même si celle-ci n’est pas rappelée par le Code monétaire et financier et si elle incombe à la banque (Cour de cassation, 27 juin 1995, 12 juillet 2005 et 11 avril 2012). Elle constitue un devoir d’alerte, en considération des « capacités financières de l’emprunteur » conjuguées aux « risques nés de l’endettement nés de l’octroi des prêts ».


Dès que l’information est prodiguée directement en vue du choix du crédit, l’IOB entre dans la zone du conseil, terme rappelé en outre par l’article R. 519-26 du Code monétaire et financier.


Principalement, celui-ci doit veiller à cinq éléments :


  • « déterminer les connaissances et l’expérience » en crédits du client, formulation furieusement inspirée des actions de conseil en matière d’épargne (Directive européenne MIFiD) ;
  • « évaluer la situation financière du client », donc, sa solvabilité ;
  • « offrir des contrats adaptés à la situation du client » ;
  • « présenter les caractéristiques essentielles du contrat » ;
  • « appeler l’attention du client sur les conséquences [potentielles du crédit] sur sa situation financière ».


De la sorte, avec les articles R. 519-21 et R. 519-22 du Code monétaire et financier, la Réglementation règle clairement la question de la place de l’IOBSP dans le contrat de crédit : même en l’absence de contrat entre l’IOBSP et le client, par exemple, dans le cas des statuts d’IOBSP Mandataires de banques, l’IOBSP est tenu à délivrer des actions précises (celles indiquées) au client.


La nécessité de « déterminer les connaissances et l’expérience du client » impose, en pratique, un questionnaire archivable (appelé « suitabiliy test », pour l’épargne).


Pour autant, à ce stade, il est possible de dire que ce que le Code monétaire et financier décrit sous le terme de « conseil » provenant de l’IOBSP n’est rien d’autre qu’un acte de mise en garde. Même contenus, appellations différentes.


Indiquons encore que rien, dans la Réglementation, n’indique que le travail de l’IOBSP libère la banque de ses propres obligations : il s’agit davantage d’une superposition que d’une réorganisation différente de ces obligations. Nous avons vu que l’analyse de la solvabilité du client était, à ce titre, essentielle : elle nécessite des IOBSP qu’ils continuent d’affiner leurs méthodes et leur rigueur, en ce domaine.

Outre les cinq éléments précédents incombant à tous les IOBSP, le Courtier en crédit est spécifiquement débiteur d’une obligation de conseil renforcée. Celle-ci proviendrait de l’indépendance plus marquée du Courtier, qui reçoit mandat du client, et non des banques (art. R. 519-4 1° du Code monétaire et financier). Elle peut se résumer en disant que le Courtier doit justifier les propositions qu’il formule.


Ceci passe, en particulier, par cinq actions supplémentaires, en vue de :


  • « fonder l’analyse objective du marché », au moyen « d’un nombre suffisant de contrats » ;
  • décrire et comparer « les différents types de contrats proposés » ;
  • « proposer les contrats les plus appropriés parmi ceux »[-ci] ;
  • « s’abstenir de proposer un contrat qui ne serait pas adapté aux besoins du client » ;
  • préciser « les raisons qui motivent ses propositions ».

La définition du conseil, telle qu’elle peut être cernée aujourd’hui, est ici touchée par ces actions. Le Code monétaire est loin de la Cour de cassation, en matière de conseil en crédits ; attendus sur ses recommandations, motivées, le Courtier n’a d’autre choix que de « s’immiscer dans les affaires de son client ». Notons d’un tempérament est possible, réduisant les obligations du Courtier si le contrat avec le client est limitatif (art. R. 519-28 al. 5). Quantitativement, ces actions supplémentaires représentent un travail bien plus lourd (nous n’entrons pas ici dans les conséquences pratiques détaillées de celui-ci, mais la notion de « marché utile » mérite d’être retenue comme application de la notion de « marché »). Le conseil du Courtier appelle et suppose un rôle différent des banques, à l’égard des Courtiers, afin qu’ils puissent remplir leur rôle : ce rôle est-il en marche ?


Les avantages et les inconvénients des propositions, « leur appréciation critique en regard des objectifs du client » doivent être identifiés et formulés par écrit. La nécessité d’un « dossier client » très organisé est incontournable, pour les IOBSP. Qualitativement, ces actions participent incontestablement à une action de conseil : elles illustrent l’injonction de conseil rappelée en exergue par la définition de l’intermédiation bancaire donnée par l’article L. 519-1 du Code monétaire et financier.


Naturellement, ce conseil ne fonctionne qu’à la condition que le client emprunteur coopère loyalement au diagnostic préalable ; dans le cas contraire, l’IOB serait délivré de cette obligation, alors intenable.

Il va de soi, dans tous les cas, que l’IOBSP doit garder la preuve de l’exécution de ses obligations, décrites. Il faut garder à l’esprit que la Réglementation de l’IOB découle d’un raisonnement analogique : pour une bonne part, elle provient en copie directe de celle des Intermédiaires en assurances (IAS) et de celle des Conseillers en Investissement Financiers (CIF).


Les Courtiers en assurance, ont très tôt (c’était en 1964), telle une sorte d’obligation accessoire naturellement issue du contrat, reçus des Tribunaux une obligation de conseil : « le courtier doit être un guide sûr et un conseil expérimenté », selon la Cour de cassation.


Au stade actuel de mise en œuvre, les professionnels de l’intermédiation bancaire que sont les IOBSP s’interrogent sur le choix de leur statut, décision qu’ils doivent arrêter d’ici le 15 avril 2013.


En particulier, l’option ouverte entre le statut de Courtier ou celui de Mandataire non exclusif (« multi-marques ») mérite d’être pesée. D’autant que rien, dans la Réglementation, n’empêche de changer de catégorie d’IOBSP (pour peu que les conditions d’accès au statut visé soit, naturellement, respectées, notamment l’inscription au RCS et l’attestation de formation de niveau 1, pour les Courtiers).


A tout le moins, ce changement est possible à chaque renouvellement annuel d’inscription à l’ORIAS, avant le 15 mars (idéalement même, en cours d’année, puisqu’il s’agit d’un changement de catégorie d’immatriculation). Il est assez «normal» qu’une Réglementation ambitieuse, touchant un pan important de l’activité économique, ici, celle du crédit, nécessite des précisions et des approfondissements. Dans tous les cas, les IOBSP ne peuvent plus faire l’économie d’un fonctionnement juridique précis, éclairé, soucieux de conformité, traçable, donc, écrit : c’est sans doute, dans un premier temps, cette démarche qui sera la plus productive, davantage que des réponses péremptoires à toutes les questions soulevées par les nouvelles dispositions, dont nous n’abordons ici qu’une frange.


Enfin, la coexistence de régimes d’information et de de conseil différents selon les canaux de distribution du crédit laisse entrevoir, avec une forte probabilité, une poussée de convergence. Dans les années qui viennent, la force des dispositions nouvelles qui s’amorcent donnera certainement la tentation d’unifier le régime de l’obligation de conseil des distributeurs de crédit, quelle que soit leur nature juridique.


Est-ce réaliste ? Est-ce souhaitable ? Dès à présent, la formation professionnelle élaborée pour les courtiers en crédit et pour l’ensemble des IOBSP peut s’avérer fort utile à l’ensemble des collaborateurs en charge d’activités commerciales de crédits, y compris dans les agences bancaires.

Laurent Denis


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