M'appelleriez-vous maîtresse ?

M'appelleriez-vous maîtresse ?

De la robe noire du jour à la petite robe noire du soir. Du Maître ès qualités, le jour, à la maitresse de certains soirs (ceux où, par miracle, il est possible de rentrer chez soi avant 21 heures). Pas si facile pour un jeune avocat d'être une femme, ou bien l'inverse ? Et vous, m'appelleriez-vous Maîtresse ?

Question existentielle numéro 1 : tu vas être quoi, avocat ou avocate ? Et déjà j’entends certains hommes se dire qu’il s’agit là d’une question bien superficielle. Et aux suivants d’ajouter « une question de bonne femme en somme !». Et déjà résonnent dans ma tête les mots d’une Olympe de Gouge si souvent oubliée des manuels d’Histoire. Ainsi la vaste question du deuxième sexe dans la profession d’avocat.

 

Les faits tout d’abord : une féminisation, croissante, de la profession. Les articles à ce sujet abondes, les constats sont identiques : une parité acquise à l’échelle de la profession mais des inégalités réelles. Le taux très faible de femmes associés, le nombre important de femmes quittant la profession dans les dix premières années d’exercice, les rétrocessions nécessairement plus faibles. Oui mais en pratique : si machiste que ça la profession d’avocat?

 

Évidemment il y a le quotidien, fait essentiellement de femmes (rapport à la féminisation de la profession. Merci de suivre.), et puis il y a tout le reste, petit florilège :

 

- L’entretien où on (le « on » renvoyant à un Confrère de sexe masculin dont l’âge flirt avec le double du votre. Contexte) vous parle de votre taille, votre signe astrologique, le fait qu’il faudra savoir « donner de soi » (sic) et où ce « on » finit pas vous demander s’il n’est pas trop désagréable à regarder parce que vous serez potentiellement amenée à le regarder très très souvent ;

 

- Le regard suspicieux posé sur votre ventre. Votre âge. Votre situation familiale. Tierce gagnant. Merci de ne pas faire d’enfant avant dix ans ;

 

- L’ensemble de toutes ces petites réflexions semées au gré des courants d’air qui traversent les longs couloirs marbrés d’un palais qui hier encore ignorait les résonances sèches de Louboutin toujours pressés (oui, cette phrase est longue.).

 

Parlons-en d’ailleurs, de ces histoires d’escarpins, de tailleurs noirs et de jambes fuselées. Car c’est peut-être ça aussi, le problème : le cliché.

 

 Il y a bien dans « avocate » comme une sorte de fantasme collectif. L’infirmière version robe noire. Entre la working-girl et la femme maîtresse. Dominante nécessairement. Libérée et prête à tout (« ah vraiment ? Parce que dans ce cas on a un poste à vous proposer. Et si on déjeunait ensemble pour en parler ? »). Requin parmi les requins. L’utérus en plus.

 

 Il y a bien dans « avocate », quelque chose qui vous ramène au fait qu’avant toute chose vous êtes une femme. Ce qui oui, peut-être, après tout, n’est pas si faux. Sauf que. 4 Sauf que nous sommes de cette profession qui se veut corps, qui a pour vocation d’assister, représenter autrui, mettre l’ensemble de ce que nous sommes, notre maitrise des mots et du langage, afin de porter la parole de cet autre devant lequel l'individu que nous ne sommes déjà plus s’efface. Entre le bouclier et le rempart. Ce don de soi là. Qu’importe alors que je sois homme ou que je sois femme. Georges Sand l’écrivit déjà si bien « Prenez-moi donc pour un homme ou une femme, comme vous voudrez. Duteil [quoi ? Où ? La loi Dutreil ? – Non Duteil. Keep calm tout va bien se passer] dit que je ne suis ni l’un ni l’autre, mais que je suis un être ». Un être. Voilà tout.

 

Le choix m’apparaissait donc évident. Pour moi j’ai choisi « avocat » et « Cher Maître ». Il parait que l’expression nous vient de Flaubert. Bel héritage en somme, alors ne vous en faites pas les gars, il n’y aura pas de quoi en rougir. Promis.

 

 

Par Anne-Sophie Hamon, avocat.