La collaboration est-elle un « piège à con » ?

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La collaboration est-elle un « piège à con » ?

Lundi 1er juin 2015. Ambiance pesante dans la salle des criées du palais de justice. Invités par l’UJA, les candidats au bâtonnat du barreau de Paris débattent sur l’épineux sujet du statut de l’avocat collaborateur. L’outsider Guy Fitoussi s’écrie alors: « Collaboration, piège à con ! »

 

              → Cet article sera disponible dans le numéro de novembre du 

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 « Sur le principe il me semble que la collaboration en réalité n'est ni plus ni moins qu'un contrat de travail et contredit le serment d'indépendance de l'avocat. » Guy Fitoussi ne mâche pas ses mots. Des propos surprenants de prime abord, puisque la collaboration libérale est largement encadrée par les textes.


Un cadre précis


La loi [1] définit le contrat de collaboration libérale comme celui par lequel un membre non salarié d’une profession libérale exerce sans lien de subordination la même profession auprès d’un autre professionnel installé. Un décret organisant la profession d'avocat renvoie aux ordres le soin de déterminer la durée et les périodes d’activité de la collaboration. Le barreau de Paris, par exemple, la définit comme « un mode d’exercice professionnel exclusif de tout lien de subordination par lequel l’avocat consacre une partie de son activité au cabinet d’un ou plusieurs avocats »[2]. Solution a priori idéale, elle permettrait au jeune avocat de commencer à développer sa propre clientèle, tout en perfectionnant sa formation aux côtés de seniors. « Le métier d'avocat c'est comme un bon vin, remarque Guy Fitoussi, il se construit avec le temps. Les habitudes s’acquièrent un jour après ton serment. Plus tard c'est trop tard ! Ce que tu n'as pas appris dans ta jeunesse t'a empêché de mûrir, d'exceller, de tenir. »


Indépendance ?


Face à l’apparente clarté des textes, la réalité se montre souvent plus compliquée pour les avocats juniors. « Le collaborateur est un salarié qui n'apprend rien du métier d'avocat : il ne maîtrise ni le rapport avec le client ni la politique d'honoraires ni celle de démarchage. Bref, il n'apprend pas le métier. Il a le paraître de l'avocat mais n'en est pas un », déclare amer Guy Fitoussi. Rares sont les certitudes qui bordent le quotidien de la collaboration. Une seule demeure : la nécessaire présence d’un avocat expérimenté au soutien du collaborateur pour lui enseigner les rouages de la profession. Cette formation de terrain est une prérogative indispensable pour permettre au jeune avocat de tenir un jour lui-même les rênes de son propre cabinet. Oui mais... « Certains avocats expérimentés oublient que le métier s’apprend au fil du temps et des dossiers confiés. Comment satisfaire à cette exigence quand on attend d’un junior les résultats d’un senior ? », s’interroge une jeune collaboratrice [3]. Objectifs de facturation élevés, fatigue, stress, manque de formation, humeur massacrante des associés… Sa première collaboration a tourné au désastre.


Rythme effréné


Autre enjeu de la collaboration : le développement de la clientèle personnelle. Mais la règle selon laquelle la collaboration offre la possibilité aux juniors de suivre leurs propres dossiers est loin d’être universelle. « L’objectif de facturation était de cinq-six heures par jour pour tous les collaborateurs. Le mien était de sept heures car on devait réduire le temps supplémentaire passé sur les dossiers en raison de mon statut de débutante, dénonce la jeune collaboratrice. Ces heures facturables ne comprenaient pas les recherches juridiques à effectuer sur le dossier, encore plus soutenues lorsqu'on débute ». Difficile alors de trouver du temps pour développer sa propre clientèle. Le rythme effréné de certains collaborateurs n’est pas un mythe. « Fatigue, stress et pression font partie intégrante du métier », poursuit-elle.


Statut précaire


« Avec le droit d’être viré sans motif, procédure ou indemnités les collaborateurs libéraux n’ont rien à envier aux travailleurs sans papiers sur un chantier », déplore une avocate parisienne [5]. Et pour cause, nul besoin de motifs ou de procédure de licenciement particulière pour se séparer d’un collaborateur. Seul est prévu un délai de prévenance dont la durée varie en fonction de l’ancienneté dans le cabinet. Quant aux indemnités, c’est simple : elles sont inexistantes. Seuls les avocats ayant souscrit à  l’assurance « perte de collaboration » mise en place par certains barreaux (à Paris depuis 2012) bénéficient d’une indemnité. Quid des situations abusives ? «  Pour me pousser au départ, on m'a mise au placard », confie la jeune collaboratrice. Saisir l’ordre est-il une solution ?  « Je n’ai pas engagé de procédure, par crainte que l’arbitre désigné par le bâtonnier ne soit en cheville avec l'un des associés du cabinet », reconnaît-elle. Et si l’associé a le bras long, une poursuite risquerait-elle de brûler les ailes à peine déployées du jeune collaborateur ? Autant de questions qui fourmillent dans la tête du novice.


Trouver son mentor


 « Un jour, lorsque tu veux prendre ton envol, tu te rends comptes que tes ailes de géant t'empêchent soudainement de marcher, c'est-à-dire d'affronter l'âpre réalité de notre profession : les trahisons, l'ingratitude, l'injustice, et alors tic-tac, tic-tac : meurs vieux lâche, il est trop tard. Oui, collaboration, piège à con ! », harangue Guy Fitoussi. C’est une certitude : des collaborations échouent. Et c’est aux ordres de mettre en place les mesures nécessaires pour sanctionner les pratiques abusives de certains cabinets. Mais comme ailleurs, il est aussi des collaborations pleinement réussies : apprentissage aux côtés d’avocats expérimentés responsables et développement florissant d’une clientèle personnelle. Ces jeunes ne sont alors ni « cons » ni «piégés», mais ont eu la chance de croiser la route du « mentor » indispensable à leur épanouissement professionnel.



Capucine Coquand 

@CapucineCoquand